« Et les fruits passeront la promesse des fleurs »

Cette belle phrase du poète François de Malherbe pourrait aisément qualifier la mission de formation qu’accomplit l’école européenne des métiers de l’orchestre, la Musika Orchestra Academy. Créée en 2014 par le chef d’orchestre Pierre Bleuse qui en exerce la direction musicale et artistique, cette jeune institution présentait, ce dimanche 4 mars, le concert de clôture de sa session 2017-2018.

Rappelons que la Musika Orchestra Academy offre à des jeunes musiciens, régisseurs, ingénieurs du son, producteurs et administrateurs, une expérience de haut niveau, essentielle à leur insertion professionnelle. Cette 4ème session de formation s’est déroulée du 24 février au 3 mars 2018 dans le Grand Couvent de Gramat. Le concert dominical du 4 mars, sorte d’apogée de ces séances de travail, a réuni à la Halle aux Grains les jeunes musiciens à l’issue de leur stage, ainsi que leur « marraine » de l’année, la grande mezzo-soprano Béatrice Uria-Monzon. Cette brillante cantatrice succède en cela aux deux initiateurs de cette sympathique et récente tradition que furent Bertrand Chamayou et Gautier Capuçon. Le maître d’œuvre de cette belle entreprise, Pierre Bleuse, mène tout ce monde avec ardeur et bienveillance.

Les principaux responsables de l’Académie. De gauche à droite : Pierre-Antoine Ourliac, Rodolphe Vialles, Sandra Rossi et Benjamin Teillard – Photo Classictoulouse –

Le président de l’association, Rodolphe Vialles, en présence des principaux artisans de cette académie, Sandra Rossi, Benjamin Teillard et Pierre-Antoine Ourliac indique tout d’abord à grands traits, les buts de l’Académie avant de laisser, comme l’on disait jadis, « la parole à la musique ». Pierre Bleuse a choisi de présenter au public un panorama à la fois large et exigeant des répertoires que ce jeune orchestre est capable d’aborder. Ainsi, la première partie est intégralement consacrée à Gustav Mahler. Le fameux Adagietto de sa 5ème symphonie met en valeur l’extrême ductilité des cordes. De la harpe aux contrebasses, tous les pupitres du quatuor s’investissent avec finesse et passion dans cette profonde méditation à laquelle le chef confère une touchante intensité.
La « marraine » Béatrice Uria-Monzon vient ensuite déclamer avec éloquence les cinq Rückert Lieder, un court cycle de ces mélodies créées à Vienne en 1905 et composées sur des extraits d’œuvres du grand poète allemand Friedrich Rückert. La voix ample, aux aigus puissants de la cantatrice se plie avec lyrisme à ce répertoire probablement inhabituel pour elle, mais auquel elle apporte toute son expérience musicale et sa sensibilité. Elle aborde notamment avec charme la grâce légère de « Liebst du um Schönheit » (Si tu aimes pour la beauté), déploie plus loin un héroïsme impressionnant dans le tragique « Um Mitternacht » (A minuit), accompagné par les seuls instruments à vent, enfin adopte cette vision éthérée, sublimée, proche de l’Adagietto précédent, du bouleversant « Ich bin der Welt abhanden gekommen » (Je me suis retiré du monde).

 

La mezzo-soprano Béatrice Uria-Monzon, marraine de la Musika Orchestra Academy et soliste des Rückert Lieder de Mahler – Photo Classictoulouse –

La seconde partie du concert plonge l’orchestre dans un tout autre monde musical. Une pièce originale d’Éric Montalbetti intitulée étrangement « Vaste champ temporel à vivre joyeusement » ouvre ce second volet. Le compositeur d’aujourd’hui, présent dans la salle, commente ainsi son œuvre : « Vaste champ temporel à vivre joyeusement est dédié à mon épouse. La partition en un seul mouvement est comme une allégorie, un chant d’action de grâce. Il ne s’agit pas d’une musique à programme, mais de la traduction, en musique, du sentiment d’être chaque jour en présence de la femme aimée… ». Composée entre 2000 et 2005, cette courte pièce débute par une sorte de pointillisme des bois, imprégné d’inquiétude. Les cordes les rejoignent bientôt sur un motif plus lyrique, comme pour rassurer. Les deux motifs, après s’être succédé, finissent par se rejoindre. Les difficultés de la partition ne rebutent en rien ni les musiciens, ni le chef, qui jouent ainsi le jeu avec panache.

 

Pierre Bleuse au sein de l’Orchestre de l’Académie – Photo Classictoulouse –

La dernière pièce du programme ne joue pas non plus sur la facilité. Pierre Bleuse lance ici son orchestre dans le légendaire ballet Roméo et Juliette, de Serge Prokofiev. Il en extrait huit épisodes qui explorent l’essentiel des caractéristiques musicales et expressives de toute l’œuvre. Au-delà d’infimes écarts rythmiques ou d’intonation vite récupérés, les musiciens insufflent à leur jeu une fraîcheur, une intensité, une dynamique dignes d’éloges. La direction précise, élégante et expressive de Pierre Bleuse obtient ainsi le meilleur de ses jeunes « académiciens ». En particulier, l’ouverture, « Les Montaigu et les Capulet », comme l’épisode choisi pour conclure, « La mort de Tybalt », impressionnent considérablement pour l’éclat et les couleurs dont l’orchestre se montre capable. L’ovation qui salue cette belle démonstration ramène le chef sur le devant de la scène pour offrir un bis éblouissant issu d’Amérique latine : Danzón n° 2 du compositeur mexicain Arturo Márquez. Un soleil flamboyant illumine cette fin de journée !

 

Serge Chauzy
Article mis en ligne le 5 mars 2018

http://www.classictoulouse.com/concerts-musika-academy-2018-bleuse2.html

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