Pour sa quatrième année consécutive, la Musika Orchestra Academy, organe de formation de jeunes talents aux métiers de l’orchestre, se retrouvait au cœur de la Halle aux Grains pour le concert de clôture du stage annuel. L’orchestre amené par Pierre Bleuse est composé d’une centaine de jeunes artistes européens qui ont été coachés par des musiciens membres de l’Orchestre National du Capitole durant une semaine. L’objectif principal affiché était de créer un collectif à partir de talents individuels sur un court laps de temps.
Après une prise de parole rapide de l’équipe de Musika et un accord très scolaire de l’orchestre, Pierre Bleuse fait son entrée pour une première partie consacrée au compositeur Gustav Mahler. Si les premières notes sont hésitantes, l’orchestre respire rapidement comme un seul homme et le maestro en tire une puissance très importante dès la partie centrale de l’Adagio de la Cinquième Symphonie. Les suraigus des violons sont quelque peu stridents mais la sonorité générale est extrêmement brillante et subtile, toujours collective, à l’image des deux harpes, jamais noyées par l’orchestre mais jamais en dehors de ce dernier.
La mezzo-soprane Béatrice Uria-Monzon, parraine de la présente session, rejoint l’orchestre pour les Rückert-lieder. D’une voix très ornée et très lyrique, avec un vibrato extrême, elle exécute le Liebst du um schönheit. Partiellement couverte sur le Blicke mir nicht in die lieder, elle n’émerge que sur les fins de phrase, tout en puissance, chaque tenue étant portée crescendo. Après une brillante ouverture des vents sur le Um Mitternacht, l’interprétation vocale se fait plus nuancée, la partie de hautbois répondant aux soupirs de la chanteuse avec brio. Le flot continu des cordes accompagne sans mal le Ich Atmet einen linden duft.
Ich bin der Welt abhanden gekommen. Sur un lieder invitant plutôt à l’introspection et à la contemplation, Béatrice Uria-Monzon fait le choix d’une interprétation en puissance. On apprécie le choix de l’orchestre et en particulier du violon solo de s’adapter à la voix et d’en reprendre le vibrato extrême. Pierre Bleuse étend le dernier accord, faisant ainsi ressortir tous les timbres et couleurs qui s’ajoutent au fur et à mesure avant de féliciter chaleureusement ses musiciens.À mains nues, Pierre Bleuse lance ensuite la création de Vaste champ temporel à vivre joyeusement du compositeur Eric Montalbetti, présent dans la salle. Aux stridents accords préliminaires dévolus aux cordes succède un balancement fixé sur les contrebasses et les vents. L’œuvre atonale est riche d’emprunts à des univers plus ou moins proches : ici un violon plutôt classique, là des traits de clarinette aux accents jazz. Les vents piaillent au-dessus de longues tenues aux cordes et le chef lance les piques qui s’additionnent progressivement jusqu’à former des climax saturés. Dirigeant des vagues sonores allant du frémissement au cluster, Pierre Bleuse soigne également les micro-motifs récurrents comme ces quintes qui passent de pupitre en pupitre. Si des voix supérieures se détachent, on continue de percevoir les mouvements ascendants et descendants au sein de l’orchestre, en termes de hauteurs comme de nuances. Un silenzio subito permet de reconstruire à nouveau une atmosphère figurative. L’œuvre cache une technicité remarquable.
Romeo et Juliette de Prokofiev marquera la fin du concert. L’effectif est à son comble avec sa centaine de musiciens. Une nouvelle fois, le chef demande un engagement et une puissance inouïe à son orchestre sur le fameux thème du premier mouvement, accentuant l’aspect grossier voulu par le compositeur. Un soin remarquable est apporté aux doublures des thèmes mêlant les timbres de différents instruments. Le geste est court et peu ample sur les mouvements rapides mais trouve plus de largesse pour le saxophone, la clarinette et le duo de flûtes. L’aspect épique est visible sur l’estrade ou le maestro saute, poings serrés, et envoie les coups de basses et de grosse caisse tels des coups d’épée. Prenant un peu de temps entre les mouvements pour une nécessaire concentration et un retour à la douceur, c’est les bras grands ouverts sur les plaintes des cordes et les derniers accords fortissimo que le chef clôture sa soirée.
Avec la présentation d’un programme si ambitieux, intense et variée, on pardonnera largement les rares maladresses clairement issues de la fébrilité de jeunes musiciens dont le talent s’est malgré tout largement exprimé tout au long de la soirée. « La musique n’est pas un métier », indiquera Pierre Bleuse à l’occasion de la Danzon n°2 d’Arturo Márquez offerte en bis. Il aura démontré, en effet, qu’elle est avant tout passion et investissement.
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