16 octobre 2016
https://bachtrack.com/fr_FR/interview-pierre-bleuse-musika-orchestra-academy-toulouse-octobre-2016
Considéré comme l’un des plus brillants chefs français, Pierre Bleuse a fondé, à Toulouse, la Musika Orchestra Academy, école européenne des métiers de l’orchestre. La session 2016 s’achèvera sur un concert de fin de stage le 23 octobre prochain. Ce projet ambitieux et d’excellence est animé d’une volonté forte de changement autour du rôle de la jeunesse, de l’idée de transmission, de décloisonnement du monde musical classique mais aussi de partenariats renforcés avec les entreprises et le secteur privé. Entretien autour de cette démarche pédagogique innovante.
Considéré comme l’un des plus brillants chefs français, Pierre Bleuse a fondé, à Toulouse, la Musika Orchestra Academy, école européenne des métiers de l’orchestre. La session 2016 s’achèvera sur un concert de fin de stage le 23 octobre prochain. Ce projet ambitieux et d’excellence est animé d’une volonté forte de changement autour du rôle de la jeunesse, de l’idée de transmission, de décloisonnement du monde musical classique mais aussi de partenariats renforcés avec les entreprises et le secteur privé. Entretien autour de cette démarche pédagogique innovante.
Pourquoi un tel projet pédagogique ?
P. B. : Tout est très compartimenté, avec les interprètes d’un côté, les professeurs de l’autre. De mon côté j’ai toujours voulu transmettre, ce qui pour moi est très naturelle.
Vous avez été membre de l’ONCT en tant que violoniste mais est-ce qu’il y a une autre raison pour le fait que vous ayez voulu fonder ce projet à Toulouse ?
On a la possibilité à Toulouse de faire un projet d’envergure internationale. Au Conservatoire, qui est l’un des meilleurs en France, il y a un vivier de jeunes musiciens vraiment extraordinaire avec d’excellents professeurs et musiciens. Il y a également un pôle d’enseignement supérieur, l’ISDAT, avec lequel on a donc développé un partenariat (ainsi qu’avec le pôle supérieur de Bordeaux). Evidemment, il y a aussi l’Orchestre du Capitole, actuellement l’un des plus grands orchestres français. Il me semblait donc y avoir toute la chaîne nécessaire pour créer un projet de cette envergure, l’un des aspects essentiels étant l’insertion professionnelle autour des métiers de l’orchestre : musiciens, métiers du son, régisseurs, la production.
Vos stagiaires sont issus surtout de France ou également de l’étranger ?
Il y a plusieurs pays représentés : l’Iran, le Brésil, la Pologne, la Suisse, l’Espagne, …. L’idée est que ce projet soit soit rattaché à l’Orchestre du Capitole, mais qu’il ait un vrai rayonnement, avec des musiciens d’un peu partout. L’important, c’est de partager.
C’est un projet qui se veut pérenne, qui va évoluer en termes de financements, mais qui va rester sous cette forme a priori ?
Tout à fait. Il y aura toujours ce socle d’une grosse session par année, attachée au Capitole, mais on espère qu’un premier orchestre qui se détachera de façon professionnelle. L’idée est encore une fois celle de l’insertion.
Les jeunes sont encadrés par des solistes issus de l’ONCT, n’est-ce pas ?
Oui. Les solistes de l’Orchestre du Capitole viennent pendant deux jours avec nous à Gramat, le lieu de résidence, pour travailler avec les jeunes, les rencontrer, partager leur expérience, et puis travailler dans le détail chaque partition, et chaque pupitre. Pour moi c’était important de créer ce moment privilégié.
Le lieu de Gramat participe à cet état d’esprit que vous voulez mettre en place ?
Le lieu est magnifique avec un grand parc. On aborde des sessions très intenses, on travaille beaucoup et c’est toujours un challenge. On propose un programme très ambitieux. Avec un orchestre et des jeunes qui ne se connaissent pas en arrivant, il faut apprendre à trouver un son, une cohésion, et puis à monter ce répertoire. On vit un moment fort de partage autour de grandes oeuvres, pendant une semaine, et c’est toujours assez génial.
Le projet montre un désir de développer des partenariats avec les acteurs privés et l’entreprise ?
En fait c’est quelque chose qu’on avait déjà avec Benjamin Teillard, cofondateur de Musika, et auquel moi je crois beaucoup à plusieurs niveaux. D’abord je pense que les jeunes doivent apprendre aujourd’hui à voir les choses un peu différemment qu’il y a quelques années. Embarquer les entreprises, les sensibiliser au futur des jeunes, à l’insertion professionnelle autour de la musique, c’est quelque chose qui peut être très fort dans les deux sens. Ce n’est pas du mécénat classique mais vraiment du partenariat. Je me souviens, lors de mes études au Conservatoire Supérieur à Paris, puis à Berlin, les jeunes attendent un peu dans la vie. Ils finissent leurs études. Et puis ? Il n’y a qu’un infime pourcentage qui aura la chance de faire une carrière de soliste. D’autres rentreront dans les orchestres, mais ça devient très difficile. Je pense qu’il faut commencer par apprendre qu’il est nécessaire d’être actifs, c’est ça qui ouvre des portes. On essaye vraiment qu’il y ait des rencontres avec les partenaires, avec des concerts dans l’entreprise, avec des petits groupes de musique de chambre, des jeunes qui vont aller rencontrer les gens. On veut vraiment que les gens se mélangent.
Vous avez évoqué un programme est extrêmement grave, mais aussi très expressif, très riche, complexe. Comment allez-vous entamer le travail en vue de votre prochain concert ?
On commence le travail avec ce qu’on appelle la lecture. Lire le programme en tutti, avec tout l’orchestre : la 6e de Tchaïkovski, puis Roméo et Juliette. Ensuite on effectue pupitre par pupitre pendant deux jours, avec une attention portée sur le son. Il y a tout un univers dans lequel il faut pouvoir entrer.
Sur ces questions de programme, mais peut-être pas spécifiquement pour vous, que pensez-vous de ce schéma, assez redondant, mais peut-être aussi très efficace : ouverture, concerto, symphonie.
Effectivement c’est difficile d’en sortir, mais je suis convaincu qu’il faut réfléchir à d’autres formes de programme. Lors du festival Musika Toulouse, il y a quelques années, j’avais justement monté des programmes avec des concerts sans pause et avec des liens entre les pièces. Il n’y avait pas d’applaudissements, c’était comme un voyage, ce qui me permettait d’avoir à l’intérieur de chaque programme une couleur différente, mais aussi avec des contrastes importants, avec des pièces très contemporaines ou très anciennes. Mais toujours, en veillant à créer un concert harmonieux. Dans le domaine du symphonique, je vais y aller petit à petit. On a plusieurs challenges quand on commence un projet, notamment un projet d’orchestre de jeunes. Pour cette raison, j’utilise des oeuvres un peu phares, majeures, parce qu’il faut qu’il y ait un enthousiasme fort pour ces jeunes, une expérience qu’ils n’ont pas l’occasion, à leur âge, d’avoir tous les jours.
Mais je suis convaincu que la musique classique reste trop figée. On manque de variété dans les orchestres, en règle générale. On a toujours ce concerto, cette ouverture, cette symphonie. On a peur de prendre des risques, surtout de la part des organisateurs qui ont peur que le public ne vienne pas. Je pense que là on a besoin de beaucoup de curiosité, d’inventivité dans le futur.
Suite à votre concert avec l’ONCT, sur ce format des Happy Hour justement, vous avez eu de bons échos ?
Le Happy Hour c’est une idée formidable : le concert n’est pas trop long où on a bien vu, la dernière fois, un public qui généralement n’a pas l’habitude de venir au concert. Et ça, pour un musicien, c’est le rêve. On a besoin de s’exprimer pour tout le monde, pas forcément pour un public averti. L’année dernière avec Musika, j’avais dit aux jeunes musiciens : “allez dans votre lycée, ramenez des amis qui ne viennent pas, qui ne sont pas habitués à la musique classique. C’est votre rôle d’aller les convaincre.” Résultat on a eu plein de jeunes qui sont venus au concert. Et du coup il y avait un élan ! On a fait la quatrième de Mahler et le concerto de Schumann avec Gautier Capuçon. Il y avait un mélange dans la salle qui donnait une énergie. J’ai eu plein de retours de jeunes qui me disaient : « ah oui mais on ne pensait pas que c’était ça, on pensait que c’était chiant ». Le fait que ce soient des jeunes sur scène, ça crée un rapprochement.
Encore un clivage à briser.
Oui, c’est ça notre rôle. C’est notre rôle mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Beaucoup de monde essaie de modifier les choses. Mais ceux qui sont vraiment à même de de faire, et partant qui ont cette responsabilité, c’est ceux qui ont entre 16 et 25 ans, qui vont rentrer là-dedans. Eux-mêmes ne doivent pas attendre – parce que souvent on forme des musiciens classiques qui attendent que ça leur tombe dans la bouche. Ils doivent être responsables de ce partage. Et je ne pense pas que les musiciens classiques soient des gens fermés. On est des gens ouverts. J’ai grandi avec toutes les musiques, avec internet : j’ai écouté du rock, de la pop, du jazz, les musiques traditionnelles de divers pays. Ça a été un affranchissement même en tant que musicien classique. Par contre, dans l’autre sens, c’est plus compliqué. Et c’est là que les jeunes doivent aussi savoir partager leur passion.
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